• C'était pendant la "grande visite", celle à laquelle toute l'équipe assiste... Enfin, le docteur lui avait proposé la "canule parlante"... Celle qui allait permettre de l'entendre quand il parlait avec la "trach'... Celle qui allait lui permettre de se faire comprendre de tous... Et pas seulement de ceux capables de le comprendre en lisant sur les lèvres... Il a pu enfin nous faire entendre son accent qui sentait bon le soleil... Et nous le dire... Nous dire ENFIN, que la purée de carotte, ce n'était plus possible...

     

    Il nous a dit aussi qu'il voulait remercier le service, que tout le monde était vraiement très gentil... Il m'a dit qu'il ne rentrerait pas dans son île, qu'il resterait ici, près de ses soeurs et de sa fille... Il m'a dit sa solitude là-bas... Qu'il savait qu'il ne pourrait plus vivre seul...

     

    Alors, j'ai tenté de faire ses papiers, me heurtant aux limites institutionnelles, à celle de l'océan... Ses soeurs m'ont aidée, elles ont téléphoné avec moi... Et puis j'ai parlé avec l'assistante sociale, là-bas au loin... Elle a promis d'envoyer le dossier qu'ils voulaient qu'on aille chercher...

     

    Monsieur, lui, s'est "amélioré" petit à petit... Jusqu'à ce qu'on se dise que ça valait la peine de refaire les demandes de rééducation... Que peut-être il pourrait intégrer une jolie maison de retraite et pas un triste service de long séjour...

     

    Et puis vendredi matin, je suis arrivée dans le service, un vent de folie régnait sur le couloir... VITE!!

     

    Arrêt cardio-respiratoire... Les réanimateurs ont tout tenté (selon la formule consacrée)...

     

    Mais il n'a pas voulu revenir... Il est parti... Sans bruit...  Jeudi, il avait encore remercié l'équipe... Comme s'il savait...

     

    REPOSE EN PAIX Monsieur "Cawotte"...


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  • J'aime l'urgence...

    Travailler dans le stress me stimule...

     

    J'aime zapper finalement...

     

    Le soin aigu me convient, pas le temps de s'attacher...

     

    J'écoute, j'essaie de trouver une solution, j'informe, j'oriente, je reste à disposition (selon l'expression consacrée) et je passe au suivant...

     

    A chacun pourtant, j'aime accorder le temps dont il a besoin, lui donner l'impression que je n'ai que lui à m'occuper... Même si ce n'est que pour 5 minutes... Mais chaque être est unique et, dans ce service qui flirte avec la mort, il me semble que chaque petit attention individuelle est essentielle...

     

    ALors, j'accorde du temps à chacun... Le patient, sa famille mais aussi l'équipe autour, l'infirmière qui doit gérer ses affects, le médecin face à ses limites... J'écoute... J'analyse...Je donne à chacun un peu de temps, d'importance, d'éternité...

     

    Mais voilà, entre mon idéal de travail et les limites de la réalité, parfois je titube... Je titube de fatigue, de stress, d'insatisfaction...

     

    Je suis exigente, très exigente, envers moi-même d'abord mais aussi envers les autres... La médiocrité m'exaspère chez mes collégues... Prétendre avoir des compétences et ne pas les exploiter... Je n'y crois pas!

    Face à mon impatience, on est bon................ ou pas... Et si on ne l'est pas, on a l'humilité de le reconnaitre et de se former!

     

    Parce que forcément, on ne peut pas tout savoir... Et c'est justement à ça que serve les équipes... A échanger, à s'enrichir, à se soutenir...

     

    Mais là, je suis contrainte d'avancer seule dans ce service où deux postes existent...

     

    Et il devient impossible pour moi de gérer LES urgences, d'établir une hierarchie dans les tâches à accomplir... Puisque ce qui n'était pas urgent la veille le sera le lendemain, empilé sous les urgences du jour...

     

    Mais pour rétablir l'équilibre, il va falloir dire non à certaines demandes... Mais comme savoir lesquelles quand on n'a même plus le temps de les hierarchiser...

     

    Et puis ça ne correspond pas à ma philosophie... Car chaque demande est importante pour celui qui l'emet... Et qui suis-je pour la minimiser?


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  • Il est parfois des situations où l'inertie peut être LA solution... Parce que je ne suis pas la Fée Clochette (je me tue à vous le répéter!)... Parce qu'assister n'est pas aider... Parce qu'on ne sauve pas les gens malgré eux... Parce qu'on n'apprend QUE de ses erreurs... Parce que la maturité passe par l'acceptation de l'autonomie...

     

    Mais je travaille dans un service de "jusqu'auboutistes"... L'echec, la mort, les désillusions, les obstacles; ils ne veulent pas connaitre... Dans un sens, c'est plutôt rassurant de savoir que tout sera fait pour sauver le patient... Qu'il bénéficiera des meilleurs soins et même d'un peu d'humanité...

     

    Mais ce ne sont pas toujours ceux qui donnent l'impression de se battre le plus qui le font réellement... Mais surtout, l'humanisme c'est essentiel mais l'affectif parasite vite l'évaluation...

     

    Alors quand un docteur se met à hurler que "le service social ne fait JAMAIS rien" parce que la solution proposée ne le satisfait pas... J'ai juste envie de lui tordre le cou... Et lui conseiller d'aller répondre à ses messages qui l'attendent par centaine sur son bureau plutôt que de me dicter mon boulot... Mais quand il me dit que "Si je renvoie le patient dans ses îles, je vais le tuer"... Là, je lui signale, qu'au point où il en est, il n'a qu'à l'héberger chez lui!

     

    Même super chef est fachée... Contre lui... Bien sur...

     

    Bon, je vous brosse le tableau quand même...

     

    Un très jeune homme, arrivé des îles, suivi pour une pathologie chronique et fluctuante mais qui laisse vivre normalement entre les crises...

    Une formation avec hébergement en attente...

    Son domicile chez sa mère un peu loin...

    Une soeur célib' chargée de famille qu'il a épuisée...

    Un frère lui-même en hébergement formation...

     

    Sortant de l'hôpital... Qui, je vous le rappelle en passant, n'est pas un hôtel... Surtout qu'aux alentours de 1500 euros la journée (même si c'est de la pension complète) tu peux espérer mieux comme décors...

     

    Le jeune ayant refusé toutes les solutions proposées, y compris le contrat jeune mmajeur de l'ASE... Il reste les foyers d'hébergement d'urgence... C'est loin d'être une solution idéale ni même acceptable... Mais c'est la seule qu'il accepte... Alors, bien sur, on se dit, qu'il ne se rend pas compte, qu'il va se faire dépouiller en 24h, voir des horreurs et prendre peur... Mais si cela peut lui permettre de prendre conscience qu'il n'a pas 10000 solutions et qu'il va falloir faire un compromis... Pourquoi pas?

     

    Et forcément le DOC' est contre MES solutions... Il propose............................ la conval. pendant 6 mois!!

     

    Bien sur! Reste plus qu'à trouver le motif médical... Mais cela ne me concerne pas...


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  • Ben non...

     

    Il est évident qu'il faut aimer son prochain un minimum... Etre capable d'empathie... Enfin, avoir de l'intêret pour les autres et ce qui ce passe autour de toi...

     

    Mais il faut aussi avoir la capacité de "mise à distance"... Etre capable d'aider l'autre sans souffrir avec lui... Le comprendre sans "se mettre à sa place"...

     

    Tout est question d'équilibre en service social... Parce que finalement, si on y regarde de plus près, les clients du service social sont juste des personnes qui ont perdu le leur et qu'il faudra aider à le retrouver...

    C'est le grain de sable qui fait dérailler la machine et l'AS qui va aider à l'enlever... Ou bien à vivre avec... Pour acquérir un nouvel équilibre...

     

    Le souci, c'est que souvent, nous sommes plus sensibles à la souffrance d'autrui parce que nous-mêmes l'avons connue... N'importe quelle souffrance... MAIS pas toutes les souffrances... Juste la notion de souffrance morale...

    (Et attention, je n'écris pas qu'il faut avoir été une femme battue pour comprendre les femmes battues!)

     

    Résultat: quand je regarde autour de moi, assez rares sont les AS pour qui la vie n'a été que fleurs et bonheurs... D'où l'expression: on est pas AS par hasard... (ben non y'a un concours!)

     

    Cependant, pour pouvoir exercer ce métier sans se mettre en danger (et les autres par la même occasion), il faut avoir dépassé nos douleurs, nos petits ou grands drames... Il faut être capable de relativiser sans minimiser... Comprendre que quelque soit la valeur de la douleur de l'Autre dans notre échelle de souffrance, elle existe et elle lui appartient... Humblement, il faut apprendre le Non-jugement...

     

    Et souvent, c'est difficile... Difficile de mettre de côté ce qui nous semble minime ou important pour comprendre simplement pour notre "client", "patient", "assuré" (appelez le comme vous voudrez...) et ce qui lui parait essentiel à LUI!

     

    D'où l'intérêt d'être bien dans ses converses, escarpins, ballerines, crocs ou ce que vous mettrez... M'en fous! Ce sont VOS pieds...

     

    Mais déjà qu'il est parfois complexe (et pas gagné d'avance), du fait de notre histoire personnelle d'être à l'aise avec chaque "aidé" que l'on rencontre... Je vous laisse imaginer les joies et les difficultés du travail en équipe...

    Parce que, si on est pas là pas hasard, c'est parce que nous avons sorti la tête de l'eau pour éviter la noyade... Donc nous sommes des "winneuses"... Voire des "Killeuses", pour celles qui ont suivi Freud et tué père et mère (psychiquement hein!!)...

     

    Donc imaginez une équipe d'AS... Et bien souvent, grâce au vernis (avec un top coat dessus bien épais...) de l'éducation et de la formation, ça passe... Mais parfois, ça casse... ça explose... Que dis-je? A côté Thernobyl (on peut pas plaisanter avec le Japon c'est trop frais), c'est rien...

     

    Parce que les clients, on veut bien leur passer beaucoup de choses, z'ont le droit d'être impatients, agressifs, difficiles... On peut expliquer pourquoi ils sont comme ça... Et puis même, on va les envoyer voir la psy pour déméler tout ça... Parce qu'on est vraiment TRES gentilles...

     

    Mais les collégues, c'est une autre histoire... Et moi, j'avoue, je n'ai pas de patience... Et l'histoire non digérée de la collégue... Honnêtement... Si elle me gène pour faire mon boulot, je suis sans pitié, ni empathie, ni RIEN DU TOUT...


     

    Parce que finalement, quand on travaille avec de l'humain en perte d'équilibre... Pour le faire remonter sur le fil, il faut être funambule et surtout travailler avec une équipe de funambules... Et quand un membre de l'équipe refuse de remonter sur le fil, le fil tangue et moi j'ai le vertige...

     

     

     


     



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  • Aujourd'hui, alors que j'étais partie à la recherche d'un de mes patients...

    Pas de panique, je ne suis pas bordélique à ce point, je ne les perds pas... Il ne se sauvent pas (pas facile de courir avec un tube de trachéo)... et normalement, je suis informée des décès... Donc mon patient avait juste déménagé...

     

     

    Je me suis arrêtée pour en saluer un autre...

     

    Ce vieux monsieur, je l'avais entendu hurler hier, je m'étais arrêtée, il en voulait à la terre entière... A l'interne qui lui faisait peur (cela dit...), à sa femme (qui ne l'emmenait pas ailleurs), à sa famille, et à d'autres (mais je n'ai pas tout compris)... Il venait de nous être transféré d'un autre service et devait y retourner...

     

    Cet après-midi, il était avec son épouse... Je les ai salués... Et puis il m'a expliqué qu'il avait peur... Que le service de réanimation était le dernier endroit où l'on passait...

     

    Alors j'ai plaisanté un peu... Ben oui, si on en sort pas vivant, pourquoi les docteurs me font-ils faire des demandes de rééducation?? Pour m'occuper??? (j'm'ennuie pas!)  Pour m'embêter??? (hum ça...) Parce que les patients vont mieux??? (je préfére ça!)...

     

    Son épouse m'a expliqué... Expliqué que son mari avait peur, peur de mourir, peur de "traîner" 3 mois en réa comme son frère qui lui, y était mort...

    Elle m'a expliqué sa propre souffrance, celle de voir son époux dans ce lit, affaibli, amaigri, de devoir le nourrir comme un nouveau-né (il était si fort...), de ses cris d'hier quand il l'avait renvoyée, elle, leurs enfants... "Vous comprenez", m'a-t'elle dit, "nous sommes mariés depuis 58 ans et nous ne nous sommes jamais disputés!"...

    Et puis elle s'est de nouveau tournée vers lui, l'a rassuré, lui a dit qu'elle resterait auprès de lui, le sommant de manger sa compote pour partir en convalescence parce que: "Je ne suis jamais allée à l'hôtel mais là, je pars un mois avec lui en convalescence!"...
    Elle était belle cette vieille dame, souriante, maquillée et apprêtée malgré sa détresse... Pleine d'espoir...

     

    Je les ai laissés à leur intimité (toute relative en réa), laissant mon adresse dans le service... Au cas où... La dame m'a répondu: "C'est déjà beaucoup de m'avoir écoutée"... Le monsieur lui a dit: "Elle est gentille, ELLE"... (comprenez: elle ne me touche pas! donc ne me fait pas mal!)

     

    Je suis sortie, sur la pointe des pieds, admirant cet amour sans faille...

     

     

    Chutttttt


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