• Il était une fois un homme qui vivait avec son épouse dans une jolie maison... Il avait un gentil stupide petit caniche... Il avait deux fils, mariés tous les deux... C'était un jeune grand père dynamique... Il exerçait un métier qui le passionnait... L'histoire aurait pu s'arrêter là... Il vécut heureux et...

     

    Mais un hiver les bronchites sont devenues chroniques... Son état respiratoire s'est détérioré jusqu'à ce que la pneumologue lui prescrive de l'oxygénothérapie... D'abord quelques heures par nuit puis le jour et enfin 24h/24h...

     

    La première fois que je l'ai rencontré, il s'est assis dans mon bureau... Puis j'ai patienté... 10 bonnes minutes... Pour qu'il reprenne son souffle car il avait monté un étage...

    Il était en arrêt maladie depuis bientôt 3 ans... Le médecin conseil avait proposé une invalidité 2eme catégorie... Il m'a raconté son histoire... Et puis la maladie... Ses espoirs de partir dans une région plus clémente à la retraite... Sa vie de famille... Son métier... Ses recettes de cuisine (il était cuisinier)... L'impossibilité de continuer de cuisiner au gaz.... Son quotidien...

    Et puis le regret... Celui d'avoir un jour fumer LA première cigarette... Celle qui a entraîné tous les paquets suivants... Celle qui le tue... à petit feu... Sournoisement...

     

    Quand les premiers signes de la maladie sont apparus, il a eu peur du diagnostic de cancer du poumon... Et de ses traitements bien connus... Mais il ignorait l'existence de la BPCO... Broncho-pneumopathie chronique obstructive... Qui entraîne l'insuffisance respiratoire et la dépendance à l'oxygène... Et de fait, la limitation de toutes les autres capacités fonctionnelles... Monter un escalier... Marcher... Même parler et rire deviennent difficiles...

    Mais il a continué d'avancer dans ses projets, de se battre pour faire valoir ses droits... D'y croire... De croire que l'envie de vivre pouvait être la plus forte....


    Jusqu'à ce jour de fin d'été où il m'a appelée en larmes pour demander un entretien en urgence... Je l'ai reçu le jour même... Son épouse avait été hospitalisée en urgence... Cancer de l'utérus métastasé...


    Le malheur n'arrive pas forcément par où on l'attend...

     

    Le chemin a été rapide... Je l'ai aidé à organiser une hospitalisation à domicile... L'accompagnement par un unité de soins palliatifs... Les droits de Madame à faire valoir... Et puis très vite, les obsèques, la succession... La PCH pour lui...

    Parce qu'à deux, il était autonome...

     

    Sa vie a continué... Un peu... L'auxiliaire de vie a remis des fleurs dans le jardin et de la gaieté dans la maison... Régulièrement, je suis allée faire ma pause café chez lui... Papoter de tout, de rien, sous le prétexte de vérifier un plan d'aide qui roulait...

     

    Quand la maladie m'a touchée, je me suis éloignée... Informée malgré tout par son auxiliaire de vie de son évolution...

     

    Et puis un beau soir d'été, une collègue m'a demandé de contacter sa belle-fille qui souhaitait m'informer personnellement de son décès...

    J'ai présenté mes condoléances, j'ai raccroché et puis j'ai pleuré... Sur lui, sur moi, sur le temps que j'espérais avoir de le revoir...

     

     


    N'oubliez pas que: "FUMER TUE"... De toutes les façons... Brutalement ou lentement... Mais INEVITABLEMENT...

     


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  • Un petit air de vacances flotte sur le service malgré le temps d'automne...

     

    Peut-être parce que le grand chef n'est pas là...

     

    Peut-être parce que certains de nos patients présents depuis longtemps s'améliorent...

     

    Peut-être parce qu'au staff, chaque jour on termine par: "Tu verras avec le Dr Machin..."... Ben non, le Dr Machin, il est en vacances... Ah bon???? ... Et oui, mon ami, l'essentiel c'est la COM-MU-NI-CA-TION!!!

     

    Peut-être parce que des lits sont fermés...

     

    Peut-être parce qu'il faut trouver des solutions plus vite pour la sortie des patients...

     

    Peut-être parce que l'ambiance est plus détendue...

     

    Peut-être parce que les soins palliatifs semblent être en mal de patient... Ce qui donne des conversations surréalistes... "Madame X, vous êtes l'assistante sociale??, Vous avez faxé une demande pour Mr Y??

    OUI!

    "Ne vous inquiètez pas... Je n'ai pas de lit mais j'ai un patient qui est presque mort... Je vous appelle dès que c'est fait..."

     

    Heu ben là, je n'ai plus trop envie de lui envoyer mon patient...

     

    Peut-être parce que je suis à J-2...

     

    Mais surtout parce que lorsque le staff débute par un rappel des génériques de dessins animés en chansons plus ou moins oubliées et en braillants et gloussants comme des enfants chahuteurs... Tu te dis que OUI,  VIVE les vacances!!


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  • Sans bruit, un samedi...

    L'infirmière l'a trouvée endormie, son esprit déjà envolé vers d'autres cieux qu'elle espérait plus cléments...

    Elle a peut-être retrouvé son mari qui l'attendait depuis 16 ans...

    Ses filles sont allées voir les pompes funébres pour ouvrir le dossier d'obséques qu'elle avait payé il y a 16 ans déjà...

    Elles ont découvert sa volonté d'être incinérée...

     

    Elle avait 94 ans et depuis un an, elle perdait son autonomie... Sa fille l'a emmenée chez elle, en HAD (hospitalisation à domicile)...

    Elle y est restée 3 semaines, bichonnée par sa famille mais ne récupérant plus, leur demandant de la laisser partir...

    Mais il y avait tant d'amour autour d'elle, tant d'envie de la garder malgré elle...

    Elle est revenue dans le service...

    Très angoissée, appelant la mort, criant son ras-le-bol de cette vie dépendante... Elle, qui avait été si forte, s'intégrant dans un village breton par le mariage malgré son origine Russe et l'ostracisme qui sévissait au début du siècle dernier...

    Nous l'avons accompagnée, tant bien que mal, lui accordant des petits bouts d'attention dans nos emplois du temps si chargés, ses filles et ses petits-enfants l'ont visitée chaque jour espérant pouvoir être là au dernier moment...

    Nous lui avons envoyé l'infirmière de la douleur, craignant qu'elle ne souffre, elle l'a virée de sa chambre, n'acceptant que l'équipe du service, s'accrochant à nos mains, à nos sourires, à nos caresses...

     

    Vendredi soir, quand je l'ai saluée d'un: "A lundi, elle m'a souri...".

    L'infirmière qui m'a entendue m'a dit: "Tu sais lundi c'est loin...".

    J'ai répondu: "Ah bon tu crois?"...

     

    Lundi, quand sa fille est venue me voir, elle m'a dit: "Vous aviez raison, elle est partie en catimini comme vous l'aviez dit...".

     

    Pour elle, c'était l'heure ...


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  • Oublier, accepter, rationnaliser, se protéger...

    Distance professionnelle, mesure, empathie, proximité relationnelle, objectivité, contrôle des émotions...

    Quand on croit que l'expérience professionnelle aménera la sagesse; le savoir, le contrôle, la facilité...

    Quand on y rêve...

    Quand on sait démontrer à des éléves la nécessité de se mettre à distance, d'être dans l'empathie et non dans la sympathie...

    Quand on explique à des familles qu'ils ne pourront pas tout faire, ni tout assumer, ni tout faire accepter, qu'il faudra laisser le patient aller à son rythme, selon ses envies, sa capacité de résilience...

     

    Quand finalement, on prend conscience que la théorie c'est bien joli mais que, dans la pratique:

     

    - Je dois me faire violence pour ne pas téléphoner dans le service pour savoir comment va cette patiente qui attend la mort...

     

    - Je me dis que j'ai été brutale avec cette autre patiente en lui annonçant le dossier d'AAH en même temps que la mise sous sauvegarde de justice...

     

    - J'ai manqué d'empathie pour son compagnon, souffrant d'alcoolisme et poursuivit pour 'non assistance à personne en danger" alors qu'il ne se rend peut-être même pas compte de son état à lui...

     

    - Je n'ai pas su trouver les mots pour aider ce docteur face à l'impuissance de la médecine...

     

    Je n'arrive pas à décrocher ce mercredi, me concentrer sur la couleur des dessins d'enfants, regarder tomber la pluie, me réjouir qu'elle arrose ma pelouse grillée...

     

    Je n'arrive pas à me réjouir du temps qui passe... De la vie tout simplement...

     

    Mon âme est, pour une fois, et bien contre mon gré, restée auprès de mes patients les plus fragiles...


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  • l'on ne se bat QUE pour la vie...

     

    Dans un service qui s'attache à ses patients et finalement... refuse de les laisser partir ailleurs que VERS la vie...

     

    Autrement dit dans un service qui considère qu'on doit garder le patient "jusqu'au bout" de sa vie si la sortie n'est plus possible...

     

    Mais qui en même temps souffre de cet accompagnement et le fuit...

     

    Pourtant, il faut accepter les limites de la machine, les limites de l'existence, les limites du temps, les limites de la souffrance et de la vie...

     

    Accepter que, parfois, l'existence en elle-même devient une souffrance morale... Accepter de ne pas fuir face au patient qui appelle la mort... Accepter les limites de la médecine même face à un patient jeune mais avec des chances de  survie limitées...

     

    Pourtant, j'admire la force de leurs espoirs, de leur croyance et de leur amour en la vie... Je souffre de les voir pleurer devant ce qu'ils considèrent parfois comme un échec... Je comprends leur principe qui est de penser que toujours on peut reculer les limites de la connaissance et du soin...

     

    Mais je me sens parfois si démunie quand ils fuient une situation trop douloureuse et nous laissent gérer le temps de l'accompagnement...

     

    A 93 ans, attendre la mort et l'appeler quand les heures s'écoulent plus que lentement et que la vie n'a plus de saveur... Que la souffrance et la solitude sont des compagnes lanscinantes... Que, seule l'assistante sociale PEUT prendre le temps de nous tenir la main en silence pour calmer l'angoisse... Que même les antidouleurs sont vains à soulager l'attente...

    Est-ce qu'accepter la mort et admettre qu'on ne peut pas l'accompagner, ce n'est pas une forme de courage?

     

    Mais au-delà des formations, des "recettes" et des convictions... Peut-on unir un service sur la question SI personnelle de la mort??


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